Il y a des choses que l’on accepte parce qu’elles font du bien. Et aussi parce qu’on se rend bien compte qu’une vision rigoriste du combat écologique est parfaitement contre-productive.
Certaines grandes manifestations, notamment les festivals, en font partie. On y danse, on y vit, on y fait naître de la cohésion sociale à grand renfort de complicités spontanées et d’émotions collectives. Et parfois, on y glisse même quelques messages de sensibilisation pour rappeler à quel point notre planète est sur le fil.
Et puis, ne soyons pas hypocrites : un petit coup de boost à l’économie locale, aux commerçants, aux hôteliers, aux restaurateurs, ne fait jamais de mal. En d’autres termes, si le pilier écologique est parfois mis à mal, n’oublions pas que la durabilité repose aussi sur deux autres fondements : le social et l’économie.
Alors tout va bien dans le meilleur des mondes, et Tomorrowland Winter, c’est génial ? Attends… quoi ?
L’arène des neiges
Tomorrowland Winter, petite sœur surexcitée du célèbre festival belge, s’est déroulé à l’Alpe d’Huez du 15 au 22 mars, accueillant 22’000 personnes triées sur le volet — surtout par leur pouvoir d’achat — pour une semaine de fête électro… en pleine montagne.
À ma gauche : scènes grandioses, shows lumineux démesurés et festivaliers surexcités.
À ma droite : un cadre naturel fragile, des écosystèmes déjà perturbés, et une population locale qui n’a rien demandé.
Ready? Fight!
Pourtant, les organisateurs le jurent : tout est sous contrôle ! Ils affirment même faire “le maximum” pour réduire l’empreinte carbone de l’événement. Rassurant ? 6’000 tonnes de CO₂e estimées, tout de même. Je n’ai pas envie de savoir à combien on serait sans “efforts”.
Et pour mieux comprendre cette sobriété proclamée, je suis allé jeter un œil à la page « Soyez éco-responsables » du site officiel. On y découvre une liste de recommandations dignes d’un camping familial :
“Faites des valises légères”
“Faites du covoiturage”
“Respectez la nature.”
Sérieusement ?
Rien sur les transports en avion. Rien sur les installations énergivores. Rien sur les nuisances sonores, lumineuses, ou sur les aménagements temporaires en altitude. En gros, le festival peut s’installer, clope au bec sur son rouleau compresseur, tant que vous, festivaliers, pensez bien à ramasser les mégots. C’est donc aux participants d’être responsables des émissions d’une machine aussi massive qu’onéreuse ?
On ne se moquerait pas un peu du monde ?
Alpes me!
Des associations environnementales, des élus locaux et des habitants s’interrogent : alors qu’on nous parle de sobriété, de fonte des glaciers, de préservation de la montagne… est-il encore acceptable, en 2025, de transformer un site alpin sensible en parc d’attraction sonore pendant une semaine ?
Les Alpes sont en surchauffe. La neige naturelle recule et les stations s’épuisent à maintenir un modèle dépassé. Et dans ce contexte, on décide de tout miser sur une gigantesque rave party, soutenue par les autorités locales — qu’on comprend aisément : économiquement, c’est le jackpot. Le maire de l’Alpe d’Huez le reconnaît : retombées exceptionnelles, hôtels remplis, saison prolongée. Une clientèle jeune, internationale et très solvable. Tout le monde est content. Mais c’est justement là qu’il faut poser la question :
Où place-t-on la limite entre ce qui est acceptable et ce qui est abusif ?
Je ne conteste pas l’utilité des festivals. Mais tout est une question de mesure, de lieu, de moment. Et surtout d’honnêteté. Si Tomorrowland Winter assumait pleinement son impact, mettait en place des actions sérieuses — au lieu de se cacher derrière une communication verte déconnectée de la réalité — peut-être que la pilule passerait un peu mieux. Mais non : on nous sert un emballage vert pâle, qui s’ouvre sur un cœur de déni bien sombre.
Switch off?
Ce qu’on reproche à Tomorrowland Winter, ce n’est pas seulement ce qu’il est. C’est ce qu’il prétend être : un festival “magique”, dans un décor de rêve, pour des gens « bienveillants et souriants », où la musique ferait oublier l’atrocité du monde.
Sauf que la montagne n’est pas un décor, ni une toile de fond pour nos stories Instagram. C’est un écosystème vivant, fragile, qui n’a plus les moyens de faire semblant. Et si nous voulons que les événements culturels continuent à exister demain (et on le veut !), il va peut-être falloir les repenser.
Que l’on soit clairs. De mon point de vue, la fête n’est pas le problème. J’irai même plus loin : elle peut faire partie de la solution. Mais elle doit évoluer. Et Tomorrowland Winter est l’exemple parfait de ce qu’il ne faut plus faire.
D’ailleurs, j’ai un rappel à formuler à l’attention des organisateurs : si vous voulez continuer à organiser des « Tomorrowland Winter », vous allez avoir du mal à vous passer de l’hiver.
Et à la cadence à laquelle vous participez au réchauffement climatique, il ne sera pas garanti encore bien longtemps.