« On a toujours fait comme ça. »
Combien de fois ai-je entendu ou deviné cette phrase. Dans l’événementiel, c’est un peu notre ligne de défense. Pas assumée mais bien pratique. On ne l’écrit pas dans les bilans, mais elle flotte dans l’air dès qu’il faut boucler un projet avec deux bouts de ficelle et un client qui veut être surpris… mais pas trop.
Honnêtement, je comprends. On est dans un métier sous pression constante. Le planning est plein à craquer pour ceux qui ont de la chance, le mandat vaut 50% du chiffre d’affaire pour ceux qui en ont moins. On est sous-staffés et les budgets se réduisent au fil du temps. Alors forcément, on reste dans les formats qu’on maîtrise.
Et ce qui est dingue, c’est que ça fonctionne. La salle est remplie, les photos sont nettes, le mandant peut faire un bon retour à ses supérieurs hiérarchiques ou ses sponsors et le client repart rassuré.
Mais bon, à force de chercher la maîtrise parfaite, on oublie un peu ce que le participant est venu chercher : l’émotion. Et on finit par produire des événements qui cochent toutes les cases… sauf celle de l’impact réel. Pas l’impact environnemental, enfin pas tout de suite, mais plutôt l’impact sur celui ou celle pour qui l’événement a été conçu. Entre vous et moi, qui a été vraiment surpris ou embarqué dans un événement dernièrement, les miens y compris ?
Mais pourquoi ça ne change pas ?
Déjà parce que le système récompense l’immobilisme. Si tu proposes un concept qui sort du cadre, tu dois argumenter, justifier, convaincre. Alors que si tu dis “on fait comme l’année dernière mais avec un éclairage un peu plus chaud”, tout le monde te dit merci. Et soyons honnêtes : les clients ne sont pas toujours les premiers à vouloir sortir de leur zone de confort.
Et pourtant, le terrain est prêt. Les études sont claires : les participants veulent du sens, pas juste du spectacle. Selon l’édition 2023 du “State of Sustainable Events” de MeetGreen, 7 personnes sur 10 attendent aujourd’hui des événements qu’ils traduisent des valeurs concrètes. Et selon EventMB, 82 % des participants affirment vouloir des événements plus responsables, mais seulement 31 % estiment en avoir réellement vécu un. L’écart est là, bien visible.
Mais il faut aussi parler d’un autre angle : la formation. On continue de former à organiser, pas à questionner. Les écoles enseignent à gérer, planifier, scénographier… mais rarement à remettre en question. Résultat : les jeunes pros arrivent déjà calibrés pour reproduire les modèles existants — parfois avec un peu plus d’Excel, rarement avec plus de recul.
Le fantasme du moins bien
Et puis on a ce frein invisible. L’idée selon laquelle faire différemment, c’est forcément faire moins bien. Que si c’est durable, ça va coûter plus cher, être moins spectaculaire. Un mythe bien ancré, qu’on alimente sans s’en rendre compte et qui nous bloque dans nos recommandations, dans la conceptualisation et dans la présentation de nos projets. .
Alors qu’en réalité, les événements les plus marquants sont souvent ceux qui osent la simplicité, qui assument un propos clair et surtout une narration plus forte. Ce qui devient expérientiel et plus événementiel. Pour être clair, la durabilité ne bride pas la créativité. Elle l’oblige à sortir des automatismes. Et c’est peut-être là qu’on touche à la vraie définition d’un bon événement : celui qui reste en tête, pas celui qui claque en photo.
Le pied dans la porte
Alors comment on amène du changement ? D’abord, on décide si on en veut. Si la réponse est non, alors on assume et on continue à faire ce qui marche. Mais si la réponse est oui, il faut regarder ailleurs que du côté du client. Le participant, lui, est prêt. Il attend du sens, du fond, une forme de cohérence. Et ça, ce n’est pas dans le brief. C’est dans les petits choix qu’on fait, ceux qu’on ose glisser dans la discussion.
On commence petit. On glisse une idée durable. On propose autre chose, même si ce n’est pas demandé. On profite des évolutions légales pour amorcer un virage. Parce qu’on a le droit d’être malins. Parce que faire mieux ne veut pas dire faire compliqué.
Et oui, c’est difficile. Surtout quand la concurrence continue de livrer du copier-coller. Mais c’est aussi une opportunité. Si on attend que tout le monde bouge, on finira suiveur. Et franchement, quitte à bosser dans l’événementiel, autant le faire pour bouger les lignes, pas juste pour boucler les budgets.
Parce qu’au fond, ce n’est pas grave si on a toujours fait comme ça. Ce qui compte, c’est qu’on n’est pas obligés de continuer comme ça.