En 2019, Sion sous les Étoiles s’est retrouvé au cœur d’une polémique : plusieurs spectateurs en fauteuil roulant se voient refuser l’accès à la zone publique du festival. L’organisation s’est défendue en invoquant les normes de sécurité et d’évacuation. Ou comment comparer une chaise roulante et son occupant à un plot de béton.
Six ans plus tard, tout le monde est d’accord pour dire que l’accessibilité, c’est important. Mais quand on gratte un peu, en backstage, les organisateurs font toujours la grimace.
Courageux, mais découragés
Soyons clairs : personne n’est vraiment “contre” l’accessibilité. Ce n’est de toute façon pas tendance de militer pour l’exclusion. Au contraire, beaucoup d’organisateurs partent la fleur au fusil, convaincus de bien faire, certains même avec une fierté sincère. Ils imaginent leur site accueillant, inclusif, ouvert à tous. Puis arrive la réalité : louer une rampe, aménager des toilettes adaptées, consolider un sol meuble, prévoir du personnel formé… autant d’actions qui font grimper la facture et grignotent les marges déjà fragiles.
Et tout ça pour quoi ? Parfois une, deux personnes sur un millier de participants. Aux yeux des organisateurs, c’est l’impression de chasser des mouches au marteau-pilon : tant d’efforts, tant d’argent, pour un impact qui semble invisible à la majorité du public. La disproportion saute aux yeux. Et quand, malgré tout, un détail cloche – une rampe trop raide, une cabine installée trop loin, un passage mal signalé – ce n’est pas l’investissement qui est salué, mais la critique qui fuse.
Résultat : la bonne volonté s’érode. Les organisateurs passent de l’enthousiasme sincère au découragement. Non pas parce qu’ils ne croient pas à l’inclusion, mais parce qu’ils ont l’impression d’y laisser leurs plumes pour un résultat que personne ne voit… sauf le jour où ça rate.
Des autorités promptes à exiger, lentes à soutenir
Deux choses tiennent encore les organisateurs par la bride : le tribunal des réseaux sociaux et la loi. Le premier dégaine son hashtag plus vite que son ombre, le second alourdit chaque année le cahier des charges d’une nouvelle ligne. Résultat : même les plus sceptiques ont compris qu’il valait mieux s’y mettre.
Mais posons-nous sérieusement la question : au-delà des injonctions, qu’est-ce qui aide vraiment les organisateurs ? Oui, il existe des aides financières. Encore faut-il les trouver, en naviguant entre communes, canton et fondations, avant de tomber sur un formulaire de vingt pages qu’un comité bénévole mettra des semaines à appréhender. Et quand, par miracle, le dossier est rempli, il faut encore attendre des mois pour savoir si le montant obtenu couvrira les dépenses.
Car c’est bien là le problème : on exige, mais on n’accompagne pas. Les organisateurs se retrouvent seuls face à des normes complexes, à des coûts imprévus et à une administration qui coche des cases sans jamais mettre les mains dans le cambouis. Résultat : l’accessibilité ressemble moins à un projet collectif qu’à une corvée solitaire.
Accessibilité = cohésion sociale
Alors quoi ? On laisse tomber ? On arrête de se fatiguer pour trois spectateurs ?
Mauvaise idée. Parce que l’accessibilité n’est pas seulement une affaire de minorité : c’est une affaire de société. Les problèmes d’accessibilité concernent aussi les familles avec poussettes, les personnes âgées, les publics avec une mobilité réduite temporaire, ou même les festivaliers qui se blessent en cours de route — une cheville foulée, un bras en écharpe, et les obstacles deviennent tout aussi infranchissables. En d’autres termes : le sujet ne touche pas trois personnes par soirée, il en touche potentiellement des centaines.
Il y a donc un enjeu bien plus profond. Les événements sont censés être des vecteurs de cohésion sociale, des espaces où l’on se rassemble malgré nos différences. S’ils deviennent de fait sélectifs, ce n’est pas seulement une injustice : c’est une fracture supplémentaire dans un monde qui en compte déjà trop. Et c’est pire encore : c’est une trahison de leur propre mission. À quoi bon prétendre “rassembler” si l’on ferme la porte, même symboliquement, à une partie du public ?
Comment sortir du piège
Il n’y a pas de solution miracle, mais il existe des pistes claires pour transformer l’accessibilité d’un casse-tête en un projet réaliste.
Tout commence par un socle minimum obligatoire et une vraie proportionnalité. Aujourd’hui, une fête de quartier est jugée avec le même œil qu’un Paléo Festival : c’est aberrant. On ne peut pas demander à un comité de bénévoles de sortir les mêmes dispositifs qu’une machine professionnelle avec des millions de budget. En revanche, il est tout à fait légitime d’exiger un plancher non négociable : un accès praticable, au moins un sanitaire adapté et une information claire. Pas moins. Ce socle crée de la confiance et assure aux participants que le minimum vital sera respecté partout.
Deuxième levier : la mutualisation. On mutualise déjà les extincteurs, les barrières Vauban, les toilettes chimiques et les gilets fluorescents. Pourquoi pas les rampes, les cabines adaptées, les signalétiques inclusives ? Les collectivités pourraient très bien créer des pools régionaux de matériel spécialisé, entretenus, standardisés et disponibles à la location à prix réduit. Ce serait moins coûteux, plus fiable et infiniment plus intelligent que de voir chaque organisateur payer 2 000 francs pour une rampe utilisée trois jours avant de finir au fond d’un hangar. Mutualiser, c’est professionnaliser : on arrête le bricolage, on améliore la qualité, et on prouve que le discours politique peut se traduire en actes concrets.
Enfin, il faut un accompagnement réel, pas des slogans. Des guides pratiques illustrés, des formations rapides pour les équipes, et surtout des interlocuteurs compétents qui répondent quand on appelle. Aujourd’hui, un organisateur perdu dans les normes n’a personne à qui poser ses questions. Résultat : on improvise, on dépense mal et on se fait critiquer quand ça ne marche pas. L’accompagnement, ce n’est pas une dépense, c’est un investissement qui évite de gaspiller. Et c’est probablement la différence entre une accessibilité vécue comme un cauchemar administratif et une accessibilité vécue comme un progrès partagé.
Conclusion
L’affaire Sion sous les Étoiles a mis le doigt là où ça fait mal : les organisateurs, quand ils veulent bien faire, se retrouvent vite à bout de souffle. Ils n’ont ni les moyens, ni l’accompagnement, ni des règles calibrées à leur réalité. Et si on continue comme ça, l’accessibilité ne sera plus perçue comme un progrès, mais comme une punition.
Et c’est ça, le vrai danger : transformer un principe indispensable en repoussoir. L’accessibilité n’est pas un gadget, ni une charge imposée pour faire joli dans un rapport. C’est une promesse que la fête est vraiment pour tous, une clé d’ouverture qui dit : “vous avez votre place ici”. Mais aujourd’hui, on fait l’inverse : on impose des injonctions impossibles, on laisse les organisateurs se débrouiller seuls et on fabrique du ressentiment.
L’accessibilité n’a jamais été une faveur, c’est un droit. La seule vraie question, c’est : est-ce qu’on va continuer à en faire un fardeau pour ceux qui organisent, ou enfin un réflexe partagé, pensé collectivement et soutenu concrètement ? Parce que la marche est haute, certes. Mais c’est justement celle qu’on ne peut pas se permettre de rater.