Depuis quelques années, la durabilité est devenue une affaire sérieuse. Et franchement, tant mieux. Il fallait bien professionnaliser tout ça, arrêter de coller trois feuilles de laurier sur du mobilier en plastique en espérant que ça passe. On a mis des indicateurs, des méthodes, des labels, des plans RSE bien ficelés. Le flou artistique a laissé place aux audits. Champagne.
Mais à force de chercher la rigueur, on est peut-être en train d’oublier un détail : pour embarquer, il faut de l’émotion. Et désolé, mais personne ne tombe amoureux d’un tableau Excel. En normant à outrance, on a pris le risque de rendre le durable illisible. Froid. Et soyons honnêtes : de plus en plus chiant. Chiant dans la manière dont on le raconte. On a voulu être crédibles, on est devenus ennuyeux.
Et quand ce qu’on raconte devient trop technique, on exclut. Le langage du durable est en train de devenir une langue étrangère, que seuls les initiés maîtrisent. Résultat : une majorité décroche. Pas par cynisme, mais par découragement. Et quand on ne comprend plus, on laisse les premiers venus le démonter à la hache — juste parce qu’eux parlent plus fort.
Donald nous remercie
Ceux qu’on n’a pas su embarquer se retrouvent à tendre l’oreille à ces premiers venus qui parlent plus fort, même pour dire n’importe quoi. Ils ne cherchent pas à convaincre, ils remplissent le vide qu’on a laissé. Trump, par exemple, ne développe aucun argument. Il transforme la complexité en malaise, le malaise en rejet. Et ça fonctionne, non pas parce que c’est crédible, mais parce qu’en face, le discours est devenu illisible.
Et ce n’est pas un débat lointain. Ce n’est pas “la politique américaine”. C’est exactement le même mécanisme que celui qui fait décrocher le public ici, dans nos villes, dans nos festivals, dans nos projets. Ce n’est pas une question d’ignorance, mais de distance. Et pendant que les récits simplistes gagnent du terrain, d’autres ici aussi commencent à s’autoriser le même virage. On n’est pas en reste en Suisse : certains — coucou Novartis — remballent déjà leurs engagements climatiques ou sociaux, comme si la séquence “durabilité” avait été un passage obligé qu’on peut désormais oublier.
Et pendant ce temps, nous on fait quoi?
Vient alors le moment de l’auto-critique. Dans l’événementiel, le constat est mitigé. Les manifestations les plus pointues s’engagent, sérieusement, sincèrement, parfois brillamment. Et souvent, ça fonctionne : scénographies sobres mais puissantes, partenariats locaux cohérents, choix assumés et intelligents.
Mais trop souvent, dans le domaine du divertissement grand public notamment, ce qui est bien fait reste en coulisses et ce qui est montré est à pleurer. On trie, on mutualise, on compense… mais on ne dit rien. On ne montre rien. Et quand ça se voit, c’est folklorique : un stand en palettes avec une guirlande LED, une animation “green” sponsorisée par une marque bourrée d’additifs. De loin, ça sent la bonne intention. De près, ça frôle l’absurde.
Résultat : un public qui décroche. Pas parce qu’il s’en fout. Parce qu’il ne comprend pas. Et ce n’est pas qu’un problème de pédagogie, c’est un problème de narration. On transforme ce qui devait être une aventure collective en discipline d’ingénieur. Et pendant que les convaincus cochent des cases, les autres s’éloignent. Jusqu’à ce que le fossé devienne trop grand pour être comblé.
Et quand la durabilité devient une langue morte, elle ne fait plus rêver. Pire, elle ne fait même plus débat.
Rallumer la lumière
C’est là que le combat commence. Si la durabilité devient incomprise, elle devient impopulaire. Et si elle devient impopulaire, elle devient indéfendable. On ne se bat pas pour ce qu’on ne comprend plus. On ne change pas le monde avec des gens qui décrochent.
Alors quoi ? Il faut remettre de l’émotion et de la simplicité. À notre petite échelle événementielle, ça commence par expliquer les choix, raconter les coulisses, donner du sens. Le mobilier réemployé, les scénos sobres, les choix alimentaires : ce ne sont pas des concessions. Ce sont des styles. Des manières de dire “voilà dans quel monde on veut vivre” — de l’affirmer avec aplomb, sans jargon scientifique.
La durabilité n’a pas besoin d’être sexy. Elle doit être tangible. Pas besoin de totebags en chanvre ni de flashmobs compostables. Juste moins de labels et plus de récits. Plus d’incarnation. Plus de “on vous explique pourquoi on fait ça”, moins de “merci de vous conformer”.
Parce que si on continue à raconter le durable comme une liste de courses grise et obligatoire, on finira seuls, à expliquer à d’autres convaincus à quel point il est urgent de convaincre — sous un magnifique chapiteau certifié ISO 20121… à moitié vide.